(Bogota) – L'attentat perpétré le 7 juin en Colombie contre le sénateur Miguel Uribe Turbay, candidat à la prochaine élection présidentielle, porte un coup dur à la démocratie dans ce pays, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.
Un adolescent de 15 ans a tiré sur Miguel Uribe Turbay lors d'un rassemblement de campagne à Bogota, la capitale de la Colombie, le blessant grièvement. Miguel Uribe Turbay, sénateur du parti de droite Centro Democrático, s'adressait à ses partisans avant le début du processus interne de sélection du candidat de ce parti à l’élection présidentielle prévue en mai 2026. Hospitalisé, Uribe Turbay se trouve toujours dans un état critique.
« L'attentat mené contre Miguel Uribe Turbay rappelle de manière effrayante les chapitres les plus sombres de la violence politique en Colombie », a déclaré Juanita Goebertus, directrice de la division Amériques à Human Rights Watch. « Les autorités colombiennes devraient enquêter sur ce crime odieux, éviter toute rhétorique politique incendiaire et renforcer la protection de tous les candidats politiques. »
La Colombie tiendra en mai 2026 une élection pour élire le successeur de l’actuel président Gustavo Petro, dont le programme gouvernemental est orienté à gauche. Les préparatifs de cette élection se tiennent alors que le pays est confronté à une présence accrue de groupes armés illégaux, dans de nombreuses zones reculées.
La violence a nettement augmenté en Colombie au cours des dernières années. Depuis 2016, les nombres d’homicides et d’enlèvements ont augmenté respectivement de 20,9 % et de 34,8 %, et le nombre de déplacements forcés massifs aurait quadruplé. Le nombre de mesures de confinement – qui entravent la possibilité d’habitants de certaines communautés colombiennes de se déplacer librement en raison de violents affrontements dans leur région – a été décuplé. En outre, selon Frontline Defenders, la Colombie est le pays qui compte le plus grand nombre de meurtres de défenseurs des droits humains dans le monde.
La Colombie a une longue histoire d'assassinats politiques, étroitement liés à des vagues de violence. En moins de huit mois avant élection présidentielle de 1990, trois candidats – Luis Carlos Galán, Bernardo Jaramillo Ossa et Carlos Pizarro Leongómez – ont été assassinés par des cartels de la drogue et des groupes paramilitaires. En 1990, la mère de Miguel Uribe Turbay, la journaliste Diana Turbay, a été enlevée par des hommes de main du baron de la drogue Pablo Escobar ; elle a été tuée en 1991 lors d'une opération de sauvetage ratée.
Lors des dernières élections locales tenues en 2023, la Mission d'observation électorale (MOE) colombienne a recensé 176 actes de violence contre des candidats, dont 6 assassinats.
L’adolescent accusé d'avoir tiré sur Miguel Uribe Turbay a été appréhendé dans une rue non loin du lieu de l'attentat, suite à l'intervention rapide des gardes du corps du sénateur. Lors d'une conférence de presse, le Bureau du Procureur général et la police ont indiqué que l’adolescent avait utilisé un pistolet Glock acheté aux États-Unis. Les autorités ont lancé une enquête pour déterminer les circonstances exactes du transport de cette arme vers la Colombie.
Le Bureau du Procureur général a aussi annoncé que ses enquêteurs et la police avaient commencé à recueillir des preuves et d'autres éléments visant à identifier et poursuivre d’autres individus ayant éventuellement participé à la planification de l’attentat, ainsi que les commanditaires potentiels.
Les autorités colombiennes devraient d’urgence mener à bien cette enquête afin de poursuivre et de traduire en justice toutes les personnes impliquées dans l'attentat contre Miguel Uribe Turbay, a déclaré Human Rights Watch. Afin de renforcer l’efficacité de l’enquête, les autorités devraient garantir la protection du suspect et de sa famille. Le gouvernement et les dirigeants des partis politiques d'opposition devraient s'abstenir de partager des théories sur l'attentat, qui pourraient compromettre l'indépendance et l'impartialité de l'enquête.
Le 8 juin, le ministre colombien de l'Intérieur a annoncé la tenue prochaine d’une réunion de la Commission nationale pour la coordination et le suivi des processus électoraux (Comisión Nacional para la Coordinación y Seguimiento de los Procesos Electorales),avec la participation de représentants des institutions de l'État et des divers partis politiques, afin de mieux garantir la sécurité et la protection des candidats.
L'avocat de Miguel Uribe Turbay a affirmé aux médias que l’équipe du candidat avait demandé à plusieurs reprises à l'Unité nationale de protection (Unidad Nacional de Protección, UNP), un organisme public chargé de mieux protéger les personnes ou communautés menacées, de renforcer les mesures afin d’assurer sa sécurité, mais que ces demandes avaient été rejetées. Les dirigeants politiques et d'autres candidats potentiels ont appelé le gouvernement à garantir la protection de tous les candidats pendant la campagne.
Les autorités devraient prendre des mesures efficaces pour garantir la sécurité de tous les candidats avant l’élection présidentielle de 2026, a également déclaré Human Rights Watch. Ces mesures devraient comprendre la réévaluation des niveaux de risque et des plans de protection pour chaque candidat, le renforcement des capacités de renseignement des forces de sécurité, l'amélioration de la coordination entre les institutions et la mise en place de mécanismes de réponse rapide.
La création d'un processus électoral sûr et démocratique nécessitera également un engagement à réduire les discours incendiaires et à rejeter les discours de haine qui attisent la polarisation dans le pays. Cette responsabilité incombe aux plus hautes sphères du gouvernement colombien, à commencer par le président Gustavo Petro, ainsi qu'à tous les partis politiques et candidats à l’élection présidentielle.
« Garantir que chaque candidat puisse faire campagne sans crainte de violence est essentiel pour préserver la démocratie colombienne », a conclu Juanita Goebertus. « Les dirigeants politiques colombiens devraient défendre le principe d’une participation politique pacifique, et s'abstenir de tout discours de haine susceptible d'inciter à la violence politique et de mettre des vies en danger. »
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