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Pakistan : Les lois sur le blasphème exploitées à des fins de chantage et de profit

Des communautés marginalisées sont ciblées afin de faciliter leur expulsion hors de leurs quartiers et la saisie de leurs terres

Des fidèles et des policiers marchaient parmi les débris devant la façade détruite de l'église catholique Saint-Jean à Jaranwala (district de Faisalabad), dans la province de Pendjab dans l’est du Pakistan, le 17 août 2023 ; la veille, une foule de musulmans pakistanais avait incendié cette église lors de violences antichrétiennes.  © 2023 Aamri Qureshi/AFP via Getty Images

(New York) – Les lois pakistanaises sur le blasphème perpétuent la discrimination religieuse et sont utilisées pour cibler des personnes indigentes ou membres de minorités lors d'expulsions illégales et de saisies de terres, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui. Ces accusations ont eu des conséquences dévastatrices pour les personnes ciblées, les gouvernements fédéral et provinciaux ayant manqué à leur devoir d’empêcher les abus et de rendre justice aux victimes.

Le rapport de 29 pages, intitulé « “A Conspiracy to Grab the Land”: Exploiting Pakistan’s Blasphemy Laws for Blackmail and Profit » (« “Un complot pour saisir des terres” : L’exploitation des lois pakistanaises sur le blasphème à des fins de chantage et de profit »), documente l'utilisation d'accusations de blasphème à des fins économiques personnelles. Cela fait longtemps que des personnes recourent à des accusations de blasphème pour inciter à la violence collective, forçant des communautés entières à fuir leurs foyers et les exposant au risque de saisie de leurs terres ou propriétés. Des personnes cherchant à exploiter la loi afin d’en tirer profit ont utilisé les accusations de blasphème comme une arme contre leurs rivaux, ou contre des commerçants membres de minorités religieuses.

« Le gouvernement pakistanais devrait réformer d’urgence les lois sur le blasphème afin d'empêcher qu'elles ne soient instrumentalisées par des individus comme moyen de chantage contre des rivaux, ou pour régler des comptes personnels et attaquer des communautés marginalisées », a déclaré Patricia Gossman, directrice adjointe de la division Asie à Human Rights Watch. « L'absence de poursuites contre les individus ont précédemment commis ou incité de telles attaques n’a fait qu’enhardir d’autres personnes qui utilisent ces lois comme moyens d’extorsion ou de chantage, au nom de la religion. »

Entre mai 2024 et janvier 2025, Human Rights Watch a mené des entretiens avec 14 personnes accusées de blasphème, ainsi qu’avec des avocats, des procureurs, des juges, des policiers, des militants des droits humains et des journalistes dans les districts de Lahore, de Gujranwala, de Kasur, de Sheikhupura et d’Islamabad au Pakistan.

Au Pakistan, le blasphème est un crime officiellement passible de la peine de mort. Bien qu'aucune exécution n'ait été appliquée à ce jour par les autorités pour blasphème, une simple accusation risque de conduire à la mort de la personne visée. Au cours de la dernière décennie, des foules d’« auto-justiciers » (« vigilante mobs ») ont tué des dizaines de personnes accusées de blasphème, lors de violentes actions collectives.

Bien que les personnes accusées de blasphème et ciblées par des violences concomitantes au Pakistan appartiennent à divers groupes socio-économiques, la plupart des victimes sont issues de groupes marginalisés, a constaté Human Rights Watch. Les accusations de blasphème visant en particulier les chrétiens et les membres de la minorité ahmadie ont souvent contraint des communautés entières à fuir leurs foyers et leurs quartiers. Comme de nombreuses communautés minoritaires au Pakistan vivent de manière informelle dans des quartiers à faibles revenus, sans titres de propriété, leur exode forcé rend leurs biens facilement saisissables.

Des personnes ayant lancé des accusations de blasphème ont également tiré des bénéfices financiers en ciblant des concurrents commerciaux et des entreprises appartenant à des minorités religieuses. L'exploitation de la loi sur le blasphème, en particulier la facilité avec laquelle une personne peut porter une accusation dans le cadre d'un conflit personnel ou à des fins lucratives, a instillé la peur parmi les personnes les plus vulnérables.

En raison de certains préjudices ancrés dans le système judiciaire pakistanais, les personnes accusées de blasphème subissent souvent un déni de justice. Les autorités ne demandent presque jamais de comptes aux auteurs de violences commises en raison d’un blasphème présumé ; mais à l’inverse, les personnes accusées de blasphème en vertu de lois discriminatoires et vagues, même en l’absence de preuves concrètes, sont souvent soumises à de longues périodes de détention provisoire, au non-respect du droit à une procédure régulière, et à des procès inéquitables pouvant aboutir à longues peines de prison.

Lors d’attaques menées par des groupes d’« auto-justiciers », les policiers n’agissent que rarement pour protéger les personnes ciblées ; ceux qui le font risquent d’être eux-mêmes menacés de violence. Par conséquent, les individus participant à de telles violences collectives ne sont que rarement arrêtés ; et en cas de procès, étant protégés par des responsables politiques ou religieux échappent, ils sont généralement acquittés.

Le gouvernement pakistanais devrait abroger la loi sur le blasphème et libérer dans des conditions sûres toutes les personnes détenues ou emprisonnées pour blasphème, a déclaré Human Rights Watch. Les autorités devraient enquêter sur toutes les attaques et menaces fondées sur des accusations de blasphème, en accordant une attention particulière à celles qui ciblent les minorités religieuses et d’autres groupes marginalisés, ainsi qu'aux actions ayant entraîné des expulsions et des déplacements forcés à grande échelle. Les autorités devraient également mettre en place des garanties pour empêcher le transfert et la vente forcés des biens des personnes accusées à la suite de tels incidents.

« L'indifférence du gouvernement pakistanais à l’égard des abus commis au nom de la loi sur le blasphème, et des violences qu'elle provoque, est discriminatoire et viole les droits aux libertés fondamentales », a affirmé Patricia Gossman. « La réticence des autorités à traduire en justice les responsables de violences contre les minorités religieuses ne fait qu'encourager les extrémistes, et renforcer la peur et l'insécurité parmi toutes les minorités. »

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